Prologue
 : Je souhaite toutefois préciser que j’ai choisi volontairement de ne pas mettre les références précise des auteurs que je cite au long de ce travail pour éviter le plagiait de mes recherches comme c’est de plus en plus le cas. Les copistes doivent avoir matière à penser désormais avant de faire siens les résultats de mes jours de travail. Cependant, pour ceux qui souhaitent utiliser mes travaux dans le cadre de leur recherche, merci de me contacter.

 

Les archives jouent un rôle central dans la construction de la mémoire collective d’une société. Elles préservent des fragments du passé, servant de témoins des événements historiques et des récits sociaux. Toutefois, ces fragments ne sont jamais neutres. En lisant les travaux de Killingray et Taylor, Stoler, Farge, ainsi que de nombreux autres chercheurs, j’ai réalisé combien les biais introduits dans les pratiques archivistiques influencent notre perception de l’histoire, ce qui soulève des questions cruciales sur la fiabilité et l’objectivité de notre mémoire collective.

Dans cet article, j'explorerai comment les choix de sélection et d'exclusion dans les archives créent des biais, comment ces biais façonnent la mémoire sociale, et les impacts sociaux de ces pratiques sur les individus et les communautés. Je proposerai également des solutions pour minimiser ces biais et contribuer à une transmission plus inclusive de notre patrimoine historique.

Pour que nous nous comprenions bien, ce que j’appelle « biais » est dans le sens de la définition d’un biais cognitif entendu comme une déviation dans le traitement cognitif d'une information. Wikipédia (https://fr.wikipedia.org/wiki/Biais_cognitif) que nous reprenons ici ajoute même que le terme biais fait référence à une déviation de la pensée logique et rationnelle par rapport à la réalité. Une fois que cela est dit, je peux commencer.

1. La Sélection et l’Exclusion : Un Filtrage du Passé

La sélection aide l’opérateur à décider quel document d’archives constituera la mémoire. Le document non retenu fera l’objet d’un exclusion/destruction. Les archives ne sont jamais une collection exhaustive de toutes les informations disponibles. La question se pose donc : comment détermine-t-on ce qui mérite d’être conservé ? Ce processus, loin d'être neutre, est influencé par des décisions humaines souvent subjectives. Les archivistes, comme le souligne Arlette Farge dans Le goût de l’archive, décident en fonction de ce qu’ils jugent pertinent, en accord avec les valeurs et les normes de l’époque. Ainsi, des documents importants pour certains groupes sociaux peuvent être écartés en raison d'un manque d'intérêt perçu, créant des "silences" dans la mémoire collective.

Prenons l'exemple des archives coloniales : pendant des décennies, les administrateurs coloniaux ont eu le pouvoir de sélectionner les documents qui seraient préservés. Ceux qui décrivaient les abus de pouvoir, les exactions, ou les révoltes des peuples colonisés ont souvent été classés comme secondaires, voire éliminés. Comme l’explique Ann Laura Stoler dans Along the Archival Grain, ces choix de sélection et de censure ont façonné un récit colonial biaisé, limitant les perspectives et les voix des populations locales dans les archives officielles.

Cet effet de filtre historique, que Stoler qualifie de "silences d’archives", affecte la manière dont les générations futures appréhendent cette période. De nombreuses générations de chercheurs et d’étudiants ont ainsi eu accès à une version de l’histoire dans laquelle les injustices et les résistances locales sont minimisées. Ces "trous de mémoire" dans les archives coloniales posent des défis majeurs à ceux qui cherchent à comprendre le passé colonial dans toute sa complexité.

2. Pouvoir et Idéologie : Les Archives comme Instrument de Contrôle

Les archives ne sont pas seulement des collections de documents, mais aussi des instruments de pouvoir. Dans leur article "Archives, Records, and Power: The Making of Modern Memory," Terry Cook et Joan Schwartz montrent comment les archives peuvent servir d’outil idéologique, en renforçant les normes dominantes et en contribuant à la légitimation de certaines classes sociales au détriment d'autres. Dans les archives d’État ou militaires, par exemple, les documents sont souvent conservés pour appuyer le point de vue officiel, renforcer le récit national et occulter les erreurs ou abus de ceux qui détiennent le pouvoir.

En Afrique du Sud, par exemple, sous le régime de l'apartheid, les archives officielles omettaient délibérément les récits des mouvements de résistance et les preuves d’exactions des forces de l’ordre. L’objectif était de contrôler la mémoire collective de la nation, de façon à ne pas donner de légitimité aux voix dissidentes. Ce biais idéologique s’est inscrit dans la mémoire collective sud-africaine, contribuant à une distorsion de l’histoire nationale. Ce n’est qu’après la chute du régime que des archives restées cachées ont permis de révéler certains pans occultés de cette époque, ouvrant la voie à une réconciliation plus authentique.

Cette influence du pouvoir politique et idéologique dans la construction des archives a des implications profondes pour la mémoire collective d’une nation. Les choix de conservation servent ainsi non seulement à préserver des documents, mais aussi à renforcer certains récits au détriment d’autres. La mémoire collective devient alors partiellement façonnée par ceux qui détiennent le pouvoir d'archiver, un processus qui se perpétue tant que des voix alternatives ne parviennent pas à se faire entendre dans le récit historique.

3. Les Silences d’Archives : Quand l’Absence Façonne la Mémoire Collective

Les "silences d’archives" ne concernent pas seulement les omissions volontaires, mais aussi les absences liées aux critères de sélection qui varient selon les époques et les contextes sociaux. Michel de Certeau, dans L'invention du quotidien : Arts de faire, souligne que les pratiques sociales et les représentations de l’histoire qui ne sont pas conformes aux attentes des archivistes ou des institutions risquent d’être ignorées. Ces silences contribuent à l’exclusion de certains groupes sociaux de la mémoire collective.

Dans les archives coloniales, des voix entières de communautés locales ont été effacées parce qu'elles ne correspondaient pas aux intérêts des administrateurs coloniaux. Ainsi, des récits de résistance ou des pratiques culturelles locales n’ont pas été documentés ou ont été dénigrés, laissant peu de traces dans les archives officielles. Cette absence se répercute dans la mémoire collective, privant les descendants de ces communautés de leur patrimoine historique. Cela peut également affecter la compréhension de soi d’une nation en supprimant certains aspects de son histoire.

Comme le souligne Eric Ketelaar dans son article "Tacit Narratives: The Meanings of Archives," les archives ne conservent pas uniquement des documents : elles véhiculent également des récits implicites ou tacites, façonnés par les absences aussi bien que par les présences. Ces récits tacites influencent la manière dont les chercheurs et le public interprètent le passé. L'absence de documents sur certains événements ou groupes peut donner l'impression que ceux-ci étaient inexistants ou peu importants, alors que leur omission est le résultat de choix d'archivage.

4. Conséquences Sociales des « Biais d'Archives »

Les biais dans les archives ont des répercussions qui dépassent la simple question de la mémoire historique. Ils influencent la manière dont les communautés se perçoivent, en particulier celles dont l’histoire a été marginalisée ou réprimée. En omettant certaines voix et en priorisant d’autres, les archives participent à la construction d'une identité collective qui peut être partiale et excluante. Les travaux de Michelle Caswell sur les archives centrées sur les survivants montrent l’importance d’adopter une perspective inclusive, permettant aux communautés d'être représentées de manière authentique dans les documents historiques.

Un exemple frappant de ces conséquences sociales se retrouve dans les archives des régimes dictatoriaux en Amérique latine, où des milliers de victimes de disparitions forcées n’ont jamais eu la reconnaissance d'un enregistrement officiel. Ces omissions compliquent encore aujourd’hui les efforts de justice pour les familles et les communautés, créant une frustration et un sentiment d’abandon. Je vous fais fi des exemples dans ce sens dans plusieurs pays d’Afrique où certains peuples vivent des frustrations.

Ainsi, ces biais, en effaçant certaines histoires, sapent également la crédibilité des institutions archivistiques. Les communautés touchées, se sentant exclues de la mémoire nationale, peuvent perdre confiance dans les archives et dans l’autorité de ces institutions. Cette méfiance à l’égard des archives entraîne une rupture dans la mémoire collective, une fracture sociale que seules des pratiques archivistiques inclusives et transparentes peuvent commencer à réparer.

5. Repenser les Pratiques Archivistiques : Vers une Mémoire Inclusive et Juste

Pour pallier ces biais et renforcer la mémoire collective, il est essentiel de repenser les pratiques archivistiques. Les archives communautaires, par exemple, permettent aux groupes historiquement marginalisés de documenter leurs propres récits, créant ainsi des archives qui reflètent fidèlement leurs expériences. Cette approche est soutenue par Laurajane Smith dans Uses of Heritage, qui encourage les pratiques d'archivage participatives et centrées sur la communauté, comme une manière de construire un patrimoine équitable.

Un exemple pertinent est le travail mené par des initiatives de "community archives" ou  " archives communautaires" dans des régions historiquement marginalisées, qui permettent aux communautés locales de contribuer à la sélection et à l’organisation des documents conservés (J’ai entamé un travail sur l’important des archives communautaires, il sera publié à la fin des recherches). Cette méthode permet de rendre la mémoire collective plus inclusive et d’assurer que les voix minoritaires soient présentes dans le récit historique.


Perspectives

L'impact des biais dans les archives sur la mémoire sociale est une question centrale pour comprendre comment l'histoire est préservée, interprétée et transmise au sein des sociétés. Les archives ne sont pas des réservoirs neutres de faits ; elles sont le produit d'un choix sélectif qui reflète souvent des priorités politiques, idéologiques et sociales spécifiques. En ce sens, elles deviennent des outils puissants dans la construction des récits historiques, mais aussi des instruments de marginalisation et d'exclusion. L'archivage n'est donc pas un acte de simple conservation, mais un processus actif qui façonne la manière dont nous comprenons le passé, influençant directement la mémoire collective d'une société.

Les biais présents dans le choix des documents à conserver, leur organisation et leur interprétation peuvent, consciemment ou non, renforcer certaines narratives et en effacer d'autres. Cela est particulièrement visible dans les archives coloniales, où les récits dominants ont été souvent imposés par les puissances coloniales, au détriment des voix des peuples colonisés. Toutefois, les archives communautaires et les mouvements de décolonisation de la mémoire ont démontré qu'il est possible de contester ces biais et de redonner aux communautés marginalisées une voix dans la construction de la mémoire historique.

L'examen des biais archivistiques ne doit pas se limiter à une critique des pratiques passées, mais aussi à une prise de conscience des mécanismes actuels qui influencent la production archivistique. Il est essentiel de développer des stratégies plus inclusives, transparentes et participatives pour la gestion des archives, afin de garantir une mémoire sociale plus juste et représentative des diverses expériences humaines. Enfin, comprendre l'impact des biais dans les archives nous invite à repenser notre rapport à l’histoire et à la mémoire, et à œuvrer pour une représentation plus équilibrée et pluraliste des récits collectifs.

 

Références Bibliographiques

  1. Derrida, Jacques. Mal d'archive : Une impression freudienne. Paris : Galilée, 1995.
  2. Farge, Arlette. Le goût de l’archive. Paris : Seuil, 1989.
  3. Stoler, Ann Laura. Along the Archival Grain: Epistemic Anxieties and Colonial Common Sense. Princeton University Press, 2009.
  4. Mbembe, Achille. Sortir de la grande nuit : Essai sur l'Afrique décolonisée. Paris : La Découverte, 2013.
  5. Blouin, Francis X. et Rosenberg, William G. Processing the Past: Contesting Authority in History and the Archives. Oxford University Press, 2011.
  6. Cook, Terry et Schwartz, Joan M. "Archives, Records, and Power: The Making of Modern Memory." Archival Science, vol. 2, 2002, pp. 1-19.
  7. Caswell, Michelle. "Toward a Survivor-Centered Approach to Records Documenting Human Rights Abuse: Lessons from Community Archives." Archival Science, vol. 14, no. 3-4, 2014, pp. 307-322.
  8. Ketelaar, Eric. "Tacit Narratives: The Meanings of Archives." Archival Science, vol. 1, 2001, pp. 131-141.
  9. Nora, Pierre. Les Lieux de Mémoire. Paris : Gallimard, 1984-1992.
  10. Smith, Laurajane. Uses of Heritage. Routledge, 2006.