Les archives communautaires jouent un rôle crucial dans le façonnement et la conservation des mémoires sociales, particulièrement dans des contextes où les récits dominants ont historiquement marginalisé certaines voix. Contrairement aux archives institutionnelles, souvent construites et maintenues par des pouvoirs établis, les archives communautaires sont créées, organisées et conservées par des groupes ou des communautés, qu'il s'agisse de groupes ethniques, de mouvements sociaux, ou de populations subalternes. Ces archives offrent un contre-récit face à l’histoire dominante, et participent activement à la décolonisation de la mémoire en permettant aux communautés de se réapproprier leur histoire. Elles incarnent ainsi un espace de résistance, de réaffirmation de l'identité, et de transmission de savoirs alternatifs.

Les Archives Communautaires : Un Enjeu de Mémoire et d'Histoire

Les archives communautaires permettent de valoriser les histoires des individus et des groupes souvent absents des archives officielles. En se concentrant sur les pratiques archivistiques des communautés, il devient possible de remettre en question la notion même d'archive, habituellement perçue comme une institution figée dans des normes et pratiques dominantes. Selon Michel-Rolph Trouillot, dans son ouvrage Silencing the Past, l'histoire est souvent écrite par ceux qui détiennent le pouvoir de définir les archives, et ainsi, des voix restent silenciées. Les archives communautaires, de par leur nature décentralisée, permettent une plus grande pluralité des voix et des perspectives, remettant en cause l'autorité des archives officielles.

L'importance des archives communautaires se fait particulièrement sentir dans des contextes postcoloniaux. Par exemple, dans les pays africains, notamment au Cameroun, les archives institutionnelles ont longtemps été dominées par l'héritage colonial. Les pratiques archivistiques coloniales ont été construites autour des besoins et des intérêts des colonisateurs, souvent en excluant ou en déformant les récits et les vécus des populations locales. Cette marginalisation des voix autochtones continue d'influencer la façon dont les événements historiques sont perçus et racontés dans la société contemporaine. En réponse à ce phénomène, les archives communautaires offrent un espace où ces récits peuvent être conservés et partagés.

La Décolonisation des Archives : Une Reprise du Pouvoir de la Mémoire

Les archives communautaires sont souvent perçues comme des instruments de décolonisation de la mémoire, car elles permettent de rendre visibles des mémoires silenciées par les archives institutionnelles. Cela ne concerne pas seulement la simple préservation de documents, mais aussi une approche plus complexe du travail de mémoire qui implique la relecture critique de l'histoire et une révision des rapports de pouvoir qui ont historiquement façonné les narrations dominantes. À cet égard, Ann Laura Stoler (2009), dans son livre Along the Archival Grain: Epistemic Anxieties and Colonial Common Sense, souligne que les archives coloniales ont été créées pour organiser et rationaliser le pouvoir colonial. L'un des objectifs de la décolonisation des archives est précisément de remettre en question cette organisation, en réévaluant les documents en fonction de nouvelles perspectives, souvent plus inclusives et critiques.

Un autre aspect fondamental des archives communautaires est leur capacité à contester le pouvoir de l'archive institutionnelle. Les archives des mouvements de résistance, des associations de droits de l'homme, ou des communautés marginalisées ont joué un rôle déterminant dans la reconstruction de l’histoire de la décolonisation et des luttes postcoloniales. Ces archives, souvent créées dans un cadre informel, reflètent des pratiques culturelles et des mémoires souvent absentes des archives officielles. Par exemple, au Cameroun, les archives des mouvements nationalistes de la période coloniale ont longtemps été ignorées ou détruites par les autorités coloniales. Cependant, des archives communautaires créées par des membres de la diaspora camerounaise ou par des groupes militants ont permis de reconstruire les récits des luttes pour l'indépendance, offrant ainsi une alternative importante à l’histoire officielle.

Les Archives Communautaires : Un Outil de Résistance et de Réappropriation

Les archives communautaires ne se contentent pas de préserver des documents ; elles sont aussi des espaces de résistance et de réappropriation. Elles permettent aux communautés de défendre leur propre narrative, en rejetant les récits imposés par les puissances coloniales ou étatiques. Dans ce contexte, les archives communautaires offrent un moyen de préserver les connaissances traditionnelles, les cultures locales et les pratiques sociales qui ont été systématiquement effacées ou réinterprétées dans les archives institutionnelles.

Les archives communautaires jouent également un rôle clé dans la reconstruction de l'identité culturelle. Elles sont particulièrement pertinentes dans les sociétés où les mémoires collectives ont été fragilisées par des siècles de colonialisme, de conflits ou de migrations forcées. Dans un cadre comme celui du Cameroun, où les diversité ethnique et linguistique sont particulièrement marquées, les archives communautaires permettent non seulement de préserver des langues en voie de disparition mais aussi de revitaliser des pratiques culturelles.

Pour sortir

Les archives communautaires représentent un espace essentiel pour la réécriture de l’histoire, la réappropriation des mémoires sociales et la décolonisation de la mémoire. Elles permettent de créer un contre-récit à l’histoire officielle, de rendre visibles des mémoires et des histoires souvent ignorées, et d’offrir aux communautés un moyen de défendre leurs identités et leurs récits. En redéfinissant les pratiques archivistiques et en favorisant une plus grande diversité des voix, les archives communautaires contribuent à la construction d’une mémoire collective plus juste et plus inclusive. À travers des exemples concrets, notamment en Afrique et au Cameroun, il est évident que les archives communautaires sont un outil fondamental pour promouvoir la justice sociale, la réconciliation et la décolonisation des mémoires historiques.

Références

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